L’évangile du lol : convertir avec des mèmes ?

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Si Jésus avait eu internet, aurait-il évangélisé différemment ? Appartenant à la tranche des 25 – 30 ans lorsqu’il entreprit de changer la face du monde, le fils de Dieu aurait probablement eu un Tumblr, un compte Twitter et une page Facebook. Qu’aurait-il dû faire afin que le bon peuple de Palestine share la bonne parole ?

Pour CatholicMemes.com, la réponse est évidente : des mèmes. A la manière de Demotivational, les catholiques ont aujourd’hui leur sites de partages d’images Lulz. L’homme créa 9Gag, Dieu créa CatholicGag. Le Tryangle se penche sur cette nouvelle forme de communion : la « mêmunion » ?

Le Lulz Catholique

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La bonne parole, tu partageras. Pour Soeur Anne Flanagan, consultante social-media des Daughters of Saint-Paul, les « mèmes figurent parmi les moyens les plus efficaces à notre disposition aujourd’hui pour évangeliser« . Interviewée par le National Catholic Register, la Soeur est enthousiaste :

Avec le mème, l’idée devient une image percutante, un fragment de la pop culture que chacun peut partager.

Pour ceux qui l’ignoreraient, les mèmes se composent d’un visuel et d’un texte, et ils se caractérisent par leur répétition et leur viralité. Les mèmes constituent un vocabulaire restreint dans lequel tout le monde peut piocher, chaque visuel devenant une idée – un sentiment – qu’il vous est possible d’appliquer à tout sujet. Ici, l’un des mèmes les plus célèbres, le Philosoraptor, appliqué à l’exorcisme :

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Pourquoi pas ? Ryan Scheel, 32 ans, est le fondateur de CatholicMemes, la plus importante page de mèmes catholiques. Il explique avoir voulu créer un endroit où l’internaute pourrait assumer son catholicisme à 1OO% tout en restant « parfaitement ancré dans la culture moderne ». Approchant les 100 000 followers, la page a pour objectif de rappeler aux catholiques que, malgré les scandales qui ont ébranlé l’Eglise, la foi peut s’éprouver dans la légèreté et la joie. Loin de vouloir convertir de nouveaux adeptes, le désir de Ryan Scheel est de « désarmer les critiques » par l’humour.

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Attention toutefois : de la même manière que réussir un mème humoristique à succès sur 9Gag est très délicat – vous devriez essayer – créer un mème catholique est un exercice subtile. Soeur Anne insiste sur ce point :

Vous devez bien réfléchir à quelle référence culturelle pourra entrer en connexion avec le passage de la bible que vous voulez invoquer. Parfois, un mème bien intentionné tombe à côté et peut faire de gros dégat, surtout s’il devient viral.

Ce fut le cas d’un mème détournant une icône de l’Ange Gabriel et de la Vierge Marie qui portait la légende « Boom, you’re pregnant ». Nous ne l’avons pas retrouvé, mais un autre exemple correspond aux critères du mauvais mème selon Soeur Anne :

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En effet, ce ne sont ni l’Ange Gabriel, ni Jésus (bien sûr que non, enfin euh…), qui ont mis Marie enceinte. C’est de la « mauvaise théologie » dit elle.

Cela paraît d’autant plus dangereux que les mèmes sont parfois territoire de combat : cette arme a d’abord été un outil de conviction… de la part des athées.

God Versus Troll

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Le Tryangle avait interviewé le créateur de la page facebook « United Atheist of America » qui utilisait toutes les techniques du web moderne pour diffuser la parole des « évangélistes de l’athéisme ». Et justement, comme le confie Ryan Scheel au Registre Catholique, ce sont les assauts des athées qui l’ont convaincu de se mettre aux mèmes :

« Des gens venaient sur mon site Ucatholic.com et tentaient d’en perturber l’activité, très souvent à l’aide de mèmes ».

L’agressivité des athées peut s’expliquer : à la différence des croyants, la littérature athée est moins connue parmi les athées eux-mêmes que la culture catholique, ainsi la dérision d’United Atheist of America se concentrait-elle sur la  religion.

Ces catholiques se réjouissent d’avoir repris les mèmes à leur avantage, comme le souligne Jacov Horvat, fondateur de CatholicGag. Celui-ci trouve très amusant d’avoir détourné le mot mème car il a été introduit par le très célèbre penseur athée Richard Dawkins, fondateur de la mémétique qui l’accompagne. Maintenant, les catholiques l’utilisent pour répandre la foi : « Cela a quelque chose de jouissif et d’amusant ».

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Le but n’est pas, pour autant, de troller. « Mon objectif est de fournir un forum pour le dialogue » insiste Scheel :

« Beaucoup d’athées – après avoir discuté avec des catholiques sur ma page – la quittent avec une vue plus clémente. Moins de colère. J’ai reçu des centaines de messages venant d’athées qui me disaient que ma page avait changé leurs perceptions du vrai message de l’Eglise ».

Sur la page d’UAA, on observait un tel dialogue, mais sous une forme radicalement différente : le hate mail. Le webmaster du site y consacrait plusieurs albums de photos, dialoguant avec des religieux sur le mode de la controverse, pour ne pas dire du Troll. Son administrateur m’avait même confié qu’il aurait dû appeler la page « Anti-Theist of America« , soit parce qu’il trollait des pages religieuses, soit parce qu’il recevait sur sa page de multiples religious trolls plus pathétiques les uns que les autres.

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Jacov Horvat souhaita opérer de façon radicalement différente. Cet ingénieur informaticien de 25 ans s’est inspiré de Scheel et des écrits de Benoit XVI sur les réseaux sociaux pour créer sa propre communauté. Moins humoristique, les mèmes cherchent davantage à proposer de la réflexion qu’à rire et calmer le troll. Pour aller plus loin, Horvat fait preuve d’auto-critique : l’un des plus célèbres mèmes est « Forgot how to priest », une façon décalée mais lourdes d’accusations de pointer du doigt sur les abus des prêtres, catholiques ou autres.

Horvat (pseudonyme) s’adresse à l’oreille déjà ouverte et privilégie les citations de penseurs comme « G.K. Chesterton, Benoit XVI, Paul VI et autres intellectuels catholiques » :

Les mèmes sont une façon simple de déconstruire des stéréotypes et les idées-reçues que les gens ont conçu au sujet de l’Eglise. De cette manière, c’est un véritable outil d’évangélisation qui peut faire espérer un premier pas vers la conversion.

Quittant le troll, nous entrons dans le domaine sacro-saint du « community management », ici appliqué à une religion. Décidément, les catholiques font tout comme tout le monde, n’est-ce pas ?

Du community management au Communion management

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N’est-il pas ridicule de la part des catholiques d’adopter les mêmes méthodes de communication que ceux qui les attaquent ? Aux mèmes athées, on riposte par les mèmes religieux. Aux Femens, on répond par les Hommen entr’aperçus lors des manifestations en France et, plus récemment, par les Antigones, vestales chrétiennes plus douces que les hystériques topless mais qui pratiquent la contestation en appartement.

A l’origine, la mémétique est une métaphore génétique : elle applique la théorie de la « volonté de survie » des entités vivantes aux « idées » qui chercheraient, elles aussi, à survivre à ceux qui les portent. Métaphore séduisante, elle explique sans difficulté que la pensée catholique se porte aujourd’hui sur tous les supports qui peuvent en favoriser la diffusion, notamment auprès d’une cible jeune.

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Notez qu’il y a dans ce combat mèmétique quelque chose d’intensément mimétique – même medium, discours différent. Pourquoi cette imitation ? La stratégie paraît d’autant plus malavisée que, en guerrier, les catholiques devraient savoir que l’effet de surprise prime pour gagner un combat ; qui plus est une âme. Le taquin pourrait aller jusqu’à se demander si cette « Oeil pour oeil, dent pour dent » est vraiment catholique…

Est-ce bien nouveau ? Certes non : c’était exactement la méthode de communication adoptée par Jésus lorsqu’il s’est inscrit dans la longue ligne de Messie judaïque qui l’avait précédée. Comme le souligne Norman Cohn dans son ouvrage « Les fanatiques de l’Apocalypse », face à l’oppression, les juifs avait conçu le désir millénariste de l’arrivée d’un roi libérateur qui ne vint jamais, ou tous le temps : on ne compte pas le nombre de messie auto-proclamé avant et après Jésus de Nazareth :

Le Messie qui souffre et meurt, la création d’un royaume purement spirituel, ces idéaux appelés à constituer le coeur même de la doctrine chrétienne, étaient loin d’être admis par tous les chrétiens primitifs. Albert Schweitzer et Johannes Weiss posèrent le problème pour la première fois, il y a plus d’un demi-siècle. Depuis, les érudits n’ont cessé de débattre de l’influence de l’apocalyptique juive sur l’enseignement de Jésus-Christ lui-même.

Ce millénarisme de l’arrivée sera remplacé pour une eschatologie du retour du Christ (cf. Montanus). Jésus était donc la pénultième illustration d’un mème dont Jean le Baptiste aurait pu être une incarnation. Le Tryangle notera ici une similitude entre le cafard et les idéologues : par le sacrifice de sa vie, l’un propage sa progéniture, l’autre sa religion.

Toute l’histoire du catholicisme peut être comparée à cet instant mimétique, du Concile de Nicée où l’hérésie est balayée et romanisée, à Vatican II où les prêtres quittèrent leurs chaires, s’éloignant de Dieux d’environ deux à trois mètres pour se rapprocher de leur Temps. La religion adapte la forme de son discours pour en conserver – autant que possible – les idées.

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Sommes-nous passé du community au communion management ? En effet, sans cesse, vocabulaires, idées et structures religieuses sont invoqués en communication, politique et dans les médias. Les évènements sont des « messes », les marques ont leur « bible » et l’on emploie désormais le terme « d’évangélisation » pour parler d’une prise de parole. Les marques gèrent des communautés de fans parfois comparées à des sectes. Ces communautés sont géré par le CM, ou community manager, chargé de prendre la parole et de gérer les échanges des fidèles. Pire, les agitateurs politiques ne semblent pas pouvoir se dégager du vocabulaire religieux pour critiquer la religion.

Comme les athées d’United Atheist of America, les Femens semblent obsédées par Dieu. Sous prétexte de le détourner, elles ne quittent jamais les thèmes, les symboles et les lieux religieux allant jusqu’à offrir leur chair aux coups de leurs ennemis, organisant leur sacrifice accompagnées de photographes et de cameramen, déguisées en nonne et portant, sur chaque partie de leur corps, des graffitis qui ne parlent que d’une seule chose : Dieu. L’iconoclasme Femen a quelque chose d’étrangement iconodule. Comme une volonté de purifier la société.

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En somme, si l’Eglise en est réduite à tweeter et faire des mèmes, ce n’est pas seulement parce qu’elle cherche à imiter son temps, mais aussi parce qu’on ne cesse de l’imiter depuis trois siècles. Duel dénué d’intérêt entre une religion vidée et un athéisme obsédé par son somptueux cadavre. La civilisation post-moderne pourrait être comparée à un américain obèse face à l’ultime part d’une délicieuse et antique tartelette au framboise : un dernier bout de symbole.

Le Tryangle, lui, attend autre chose que le mème : le nouveau ?