La prostitution est-elle sacrée ?

« Je peux vous dire que nous, les putes, nous irons directement au paradis, s’il y en a un. Car l’enfer et le purgatoire nous les aurons déjà faits ».

Grisélidis Réal

« Excellence essentiellement française du mythe du Grand Monarque et de sa compagne secrète la Grande Putain. Chez La Fontaine, occultiste monarchiste, la Reine Permanente, invisible, toute puissante de la France, c’est la Grande Putain. La Déesse Raison ensuite, incarnée par une putain, et Marianne qui porte le chapeau symbolique des putes. »

Dominique de Roux

Le 7 décembre 2011, les députés Danielle Bousquet (PS) et Guy Geoffroy (UMP) ont déposé une proposition de loi « visant à responsabiliser les clients de la prostitution et à renforcer la protection des victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme ». La peine est de 3750 euros et de deux mois d’emprisonnement pour toute personne rendue coupable du : « fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir, en échange d’une rémunération, des relations de nature sexuelle de la part d’autrui».

Si la description du délit accuse une bonne partie de la population mondiale de prostitution, la peine infligée condamne le gouvernement français pour maquerautage caractérisé. Tant mieux pour les finances publiques, dirons-nous. Nous ne pouvons qu’espérer que les notes de frais (telles que les invitations préalables à « dîner ») seront déductibles. Nul ne conteste la légitimité des inquiétudes de nos chers députés. La prostitution repose sur un trafic d’êtres humains. C’est l’exploitation de l’homme par l’homme (ou plutôt de la femme par le hareng) réduite à sa plus simple et terrible expression : la capitalisation sur l’usure d’un corps. Marx classait les maquereaux et tenancières de bordel parmi le lumpenproletariat. Des alliés objectifs de la haute finance.

Depuis, en France, les bordels ont fermé après la croisade de la célèbre Marthe Richard. Il s’agit maintenant de s’attaquer à l’homme du bois de Boulogne. La parenthèse inaugurée par l’exercice du « plus vieux métier du monde » sera peut-être enfin close… Ouf, dites-vous ?

Mais la prostitution fut-elle toujours une réalité si triste qu’il fallût songer à l’interdire ?

Ode à la Sainte-pute

Dans l’Antiquité, la prostitution pouvait relever d’un sacerdoce. Des prostituées sacrées se réservaient aux seuls étrangers. C’est la tradition de l’hospitalité sexuelle. L’inadaptation aux us et coutumes du pays pour les nouveaux arrivants, qui pouvait réduire le potentiel de séduction, était ainsi surmontée ! L’hospitalité sexuelle est une prostitution rituelle accueillante, avérée aussi bien chez lesEskimos du Pacifique que chez les Phéniciens d’Héliopolis qui donnaient, selon Eusèbe, «leurs filles à violer aux étrangers».

Et combien nombreux étaient les peuples de l’Antiquité, où des femmes se prostituaient de manière épisodique ou régulière aux fidèles des dieux et des déesses de l’Amour ! Partout on fait l’amour dans les Temples ! Les prostituées n’offraient pas leur salaire à un vulgaire Jules mais à Vénus. Cette forme de prostitution sacrée pouvait être purement « évenementielle »: par exemple, au Liban, à Byblos, les femmes s’offraient lors de la célébration de la mort et de la résurrection d’Adonis.

Et si les Temples étaient des bordels, les bordels pouvaient être de véritables couvents. Le célèbre bordel d’Alexandrie était composé de 1400 cellules. Les temples d’Aphrodite, d’Ishtar ou d’Astarté étaient eux construits sur des plans de couvents divisés en cellules. Voici la description qu’en donne Philippe Cambry dans son essai L’Erotisme et le sacré :

« Ils étaient un monde complet, fermé par des limites de pierre et régi par une déesse, âme et centre de cet univers».

«Le plan des maisons sacrées était uniforme et tel : la porte, de cuivre rouge, portait un phallus en guise de marteau, qui frappait un contre-heurtoir en relief, image du sexe féminin, et au-dessous était gravé le nom de la courtisane […] De chaque côté de la porte s’ouvraient deux chambres en forme de boutiques, c’est-à-dire sans mur du côté des jardins. Celle de droite, dite «chambre exposée», était le lieu où la courtisane parée siégeait sur une cathèdre haute à l’heure où les hommes arrivaient. Celle de gauche était à la disposition des amants qui désiraient passer la nuit en plein air, sans cependant coucher dans l’herbe.

La porte ouverte, un corridor donnait accès dans une vaste cour dallée de marbre dont le milieu était occupé par un bassin de forme ovale. Un péristyle entourait d’ombre cette grande tache de lumière et protégeait par une zone de fraicheur l’entrée des sept chambres de la maison. Au fond s’élevait l’autel, qui était de granit rose.

Toutes les femmes avaient apporté de leur pays une petite idole de la déesse, et, posée sur l’autel domestique, elles l’adoraient dans leur langue, sans se comprendre jamais entre elles. Lakçmi, Aschthoreth, Vénus, Ishtar, Freia, Mylitta, Cypris, tels étaient les noms de leur volupté divinisée. Quelques-unes la vénéraient sous une forme symbolique : un galet rouge, une pierre conique, un grand coquillage épineux. La plupart élevaient sur un socle de bois une tendre statuette grossière aux bras maigres, aux seins lourds, aux hanches excessives et qui désignait de la main son ventre frisé en delta. Elles couchaient à ses pieds une branche de myrte, semaient l’autel de pétales de rose et brûlaient un petit grain d’encens pour chaque voeu exaucé. Elle était confidente de toutes leurs peines, témoin de tous leurs travaux, cause supposée de tous leurs plaisirs. Et, à leur mort, on la déposait dans leur petit cercueil fragile, comme gardienne de leur sépulture.

Les plus belles parmi ces filles venaient des royaumes d’Asie. Tous les ans, les vaisseaux qui portaient à Alexandrie les présents des tributaires ou des alliés débarquaient, avec les ballots et les outre, cent vierges choisies par les prêtres pour le service du jardin sacré. C’étaient des Mysiennes et des Juives, des Phrégiennes et des Crétoises, des filles d’Ectabane et de Babylone, et des bords du golfe des Perles et des rives du Gange. Les unes étaient blanches de peau, avec des visages de médailles et des poitrines inflexibles ; d’autres, brunes comme la terre sous la pluie, secouaient sur leurs épaules des chevelures courtes et sombres […]

Quand une femme était entrée là, elle n’en sortait plus jamais qu’au premier jour de sa vieillesse. Elle donnait au temple la moitié de son gain, et le reste devait lui suffire pour ses repas et pour ses parfums. »

Quand bien même les fidèles venaient quérir l’indulgence des prostituées sacrées, il ne faut pas y voir un simple commerce d’indulgences, c’est-à-dire une source de revenus additionnels pour des prêtres corrompus.Au contraire : dans cette office la pleine expression d’une célébration religieuse. Et devenir prostituée sacrée, c’était répondre à un appel. Une vocation. Philippe Cambry mentionne que l’on a trouvé, en Lydie, une stèle funéraire d’une prostituée appelé Aurelia : « Un ordre formel du dieu l’avait invité à le servir de cette façon ». Hérodote lui-même vit en Lydie un monument notoirement exécuté aux frais «des filles qui font métier de leurs corps» et qui ne craignaient pas de le proclamer. Le respect envers ces femmes était tel que les rois n’hésitaient pas à y consacrer leurs filles : « A Babylone, Nabonide fait de la sienne une dame de Mardouk et Cyniras, roi de Chypre à l’époque légendaire, fonde la prostitution sacrée en la faisant exercer par ses propres filles ». Quand les Perses menacèrent d’envahir la Grèce, c’est à elles que l’on demanda de porter les vœux et les prières à la divine Aphrodite.

Aujourd’hui, il n’y a plus de semblable temple du Plaisir. Ou disons qu’ils sont aujourd’hui bien tristes et virtuels. De même que les prostituées sacrées vivaient encloses dans les cellules de leur couvent, les actrices pornographiques sont prisonnières des mailles du réseau. Et pourtant encore au début du siècle, André Gide raconte avoir aperçu les «saintes», nom donné aux prostituées des rues de Biskra. Il rapporte même que « des marabouts très vénérés se montraient en leur compagnie». Ces demoiselles, non content d’être des compagnes temporaires, incarnaient la femme absolue et on les célébrait pour cela.

Célèbre-t-on encore les prostituées ? Beaucoup les plaignent, d’autres peut-être vont jusqu’à mépriser ces « miséreuses ». L’hospitalité sexuelle n’a plus cours : en 2010, d’après le rapport de la Fondation Scelles, sur 56% des individus condamnés pour proxénétisme aggravé, 90% des victimes de ces réseaux sont de nationalité étrangère et seuls 30% sont des femmes. Ce dernier point est, entre autre, illustré par le phénomène des « mamas nigérianes », ces anciennes prostituées ramènent de nouvelles recrues d’Afrique et « tiennent » leurs compatriotes sur le trottoir. Les voyages au Nigéria servent aussi à rapatrier l’argent et à se procurer les statuettes vaudou dont les sortilèges auraient le pouvoir de maintenir dans la prostitution. Bref voici qui ressemble davantage au commerce triangulaire qu’à la tendre étreinte d’une accueillante prêtresse masturbatrice des Temps anciens.

Certains y verront une conséquence du « judéo-christianisme ». La prostitution sacrée n’est-elle pas caractéristique en fait des cultes païens ? L’Ancien Testament en effet se démarque et l’interdit explicitement : « Il n’y aura pas de prostituée sacrée parmi les filles d’Israël, ni de prostitué sacré parmi les fils d’Israël » (Deutéronome 23 :18 ) La formule semble sans appel. Pourtant Philippe Cambry propose une interprétation étonnante de la disgrâce de Sodome : ses habitants auraient été châtiés parce qu’ils avaient inversé la coutume de l’hospitalité sexuelle :

«Au lieu de pourvoir, comme il était naturel, aux jouissances des étrangers qu’ils avait accueillis, les Sodomites réclamèrent ces étrangers «pour en jouir». Voilà le sacrilège. »

Le culte du bordel

Etrangement, l’analyse lexicale de l’argot des bordels attesterait d’une certaine survie de la sacralité –voire de la catholicité- de la prostitution dans une France depuis longtemps convertie au catholicisme. La prostituée serait-elle restée sacrée dans le sens où elle est l’occasion d’une profanation secrète ? Dans son étude sur les bordels au Moyen Age, Jean Verdon raconte que, à Pamiers, dans le bordel de Castels Joyeux, le tenancier était appelé «abbé» et qu’en règle générale, la tenancière des bordels était, elle aussi, appelée, «abbesse». La pratique de la location répétée d’une chambre par une prostituée pour exercer son office était, quant à elle, appelé casuel, mot qui, à l’origine, désigne un gain exceptionnel s’ajoutant aux revenus réguliers des ecclésiastiques. On retrouve cette ambiguïté lexicale dans la manière dont argot et langage religieux désignent le sexe et les objets du culte, comme le fait remarquer Max Chaleil auteur de Prostitution, le désir mystifié :

« Ainsi en est-il des fonts baptismaux qui, en argot, désignent le bidet dont les prostituées faisaient un usage intensif ; même chose avec les burettes, flacons destinés à contenir les saintes huiles ou encore l’eau et le vin de la messe, mais dont l’argot se sert pour nommer les testicules». Et de poursuivre avec l’exemple du «vagin» que l’Eglise aime à nommer prudemment «vase sacré» tandis que l’argot, lui, se contente de parler de vase pour décrire le sexe féminin, par exemple dans l’expression «avoir du vase» qui est devenu, de nos jours «avoir du pot».

Ainsi au temps des bordels, la prostitution conservait un aspect religieux, elle était une contre-messe libératoire aux discrètes prêtresses. Max Chaleil le dit bien dans son ouvrage : « Telle l’église, le bordel était lieu de rassemblement, lieu consacré réunissant les clients, autres fidèles. Comme l’église, il avait son clocher et sa croix : sa lanterne, son numéro». Et les analogies possibles sont nombreuses. Le client serait le fidèle, qui viendrait chercher l’absolution d’un désir honteux par sa libération auprès de la prêtresse :

De la même façon que le fidèle s’agenouille aux pieds du prêtre représentant de Dieu, le client s’offre à la prostituée en lieu et place de l’invisible souteneur auquel elle est dévouée corps et âme. Et, semblable au prêtre qui, par amour du Seigneur, se châtre symboliquement, elle se nie en tant qu’être sensible.

Car la prostitué s’apparente au prêtre qui, dans un lieu sombre comme un confessionnal, fait entrer le fidèle pour le (se faire) prendre en confession. Nié en tant qu’être humain, réceptacle de la culpabilité de la société, la prostituée est aussi une image du Christ : en lieu et place de l’hostie, corps du christ, c’est son propre corps qu’elle offre aux clients. Un véritable corpus mysticus ?

A lire les détails qu’elle [Grisélidis Rénal] donne, à la fois crus et comme épurés ( «La vraie prostitution se fait en silence la plupart du temps, tout en nuances, en effort surhumains, c’est un travail d’orfèvre, minutieux, héroïque. Il faut savoir faire jouir tout en se protégeant de l’usure et de la douleur, en caressant, suçant, léchant, pressant, griffant un peu, gémissant adroitement, en maintenant fermement les queue molles et récalcitrantes des ivrognes là où elles doivent être.»), on se demande si la passe décrite comme une technique efficace ne relève pas d’un sacrifice proprement divin.

La miraculeuse connexité entre sainteté et prostitution, relevant de la coincidentia oppositorum, est un thème majeur de la mystique catholique. Ainsi Léon Bloy s’exclame avec véhémence dans une « Lettre à sa fiancée » :

«Il n’y a pour la femme – créature temporairement, provisoirement inférieure, que deux manières d’être : la maternité la plus auguste et la qualité d’un instrument de plaisir, l’amour pur ou l’amour impur. En d’autres termes, la Sainteté ou la Prostitution ; Marie-Magdeleine avant ou Marie-Magdeleine après. Entre les deux, il n’y a que l’Honnête femme, c’est-à-dire la femelle du Bourgeois, du réprouvé absolu que nul holocauste ne peut racheter. Une sainte peut tomber dans la boue et une prostituée monter dans la lumière, mais l’affreuse pécore sans entrailles et sans cerveau qu’on appelle une honnête femme et qui refusa autrefois l’hospitalité de Bethléem à l’Enfant Dieu, est dans une impuissance éternelle de s’évader de son néant par la chute ou par l’ascension»

Vouloir interdire la prostitution, n’est-ce pas échouer à la faire disparaître, car elle prendra forcément des formes souterraines mais réussir merveilleusement bien à en ternir, pour toujours, le caractère sacré ?

La fermeture

Revenons donc sur l’histoire des maisons closes et de leur fermeture. Le livre de référence sur cette affaire, du moins pour ceux capables d’apprécier la gouaille quasi-célinienne et éminemment française d’Alphonse Boudard, s’appelle « La Fermeture ». Celle-ci fut décidée après-guerre, un beau matin de 1946, au Conseil municipal de Paris – et l’interdiction qui ne touchait tout d’abord que les boxons de la Capitale (177 maisons répertoriées) s’étendit rapidement à tout le territoire. La nouvelle n’occupa que quelques entrefilets dans la presse. L’époque était dure : on en était encore aux rationnements (y compris pour le papier des journaux) et la Quatrième République balbutiante avait des chats plus importants à fouetter.

Mais, lapidaire, Pierre Mac Orlan : « C’est la base d’une civilisation millénaire qui s’écroule. » Ce n’est pas seulement la fin d’une institution de l’ordre bourgeois. Une institution qui garantissait, peut-être, la solidité de bien des mariages de la Troisième République. Quelque chose de bien plus archaïque s’est éteint à jamais. Dans une nouvelle des Diaboliques, Barbey d’Aurevilly remarque que la véritable profanation – qui produira une jouissance mêlée de terreur – ne peut évidemment émaner que d’une foi véritable. D’où la misère des athées condamnés à une parodie de profanation. Et il fut une époque où, comme le note Boudard « le péché ajoutait quelque chose à la sexualité ». Si l’on choisit 1968 comme date symbolique, on peut dire que la fermeture des bordels a précédé de vingt ans l’oubli du péché.

A la Grande Epoque (i.e. celle d’avant la Femeture, et pas seulement à la Belle Epoque, qui justement, sous l’angle de la prospérité des « maisons », fut faste) la réalité n’était pas monolithique. Il y avait une grande variété de maisons closes et de putes. Pour toutes les bourses pourrait-on dire suivant un jeu de mot bien connu. C’était un monde parallèle au monde officiel, qui reproduisait la hiérarchie de la structure sociale, le tout enveloppé d’une infinité de nuances. De la soupeuse à la lorette. Des marcheuses aux chandelles. L’amateur trouvera dans « Splendeurs et misères des courtisanes » de Balzac quelques éclairages sur une partie de ce vocabulaire malheureusement oublié.

Le plus bas niveau, c’était les « taules d’abbatage ». Construites à proximité des casernes militaires ou des foyers de travailleurs immigrés, les malheureuses épaves qui y officiaient pouvaient faire dans les 50 passes par jour. Boudard confie avoir jeté un œil (par mégarde ?) dans sa jeunesse et on comprend que ce genre de lieux ne plaide pas pour une réouverture des « maisons ». Voilà quel était le principe :

« Ne montaient à l’assaut de ces fesses molles que les inconscients, les morfales sexuels…et puis les Arabes dont on disait qu’ils encaldossaient les chèvres, des vaches, à défaut de ces pouffiasses de choc. Sans le savoir, elles garantissaient, protégeaient la vertu des vraies jeunes filles, de leurs mamans…et même celle de nos animaux domestiques. »

Mais à l’opposé la France pouvait légitimement s’enorgueillir de maisons de luxe tout à fait exceptionnelles. Les caprices les plus obscurs et tordus s’y satisfaisaient. La discipline régnait pour les filles. Le champagne accompagnait les dîners où se retrouvaient ministres, ambassadeurs et généraux. Il est juste de dire que ces maisons impeccables (le One-Two-Two, le Chabanais, ou encore le Sphinx) contribuaient puissamment au prestige de la France. Le futur Roi d’Angleterre Edouard VII était un familier du Chabanais, et cela ne serait pas totalement étranger, selon certains historiens, à la politique de l’Entente Cordiale. Les « cocottes » parisiennes étaient réputées de par le monde. Les étrangers ne venaient pas seulement visiter Montmartre ou la Tour Eiffel. Boudard rappelle opportunément que c’est juste après la fermeture des boxons qu’on a balancé tous les fleurons de notre Empire colonial…Tout se tenait en ce qui concerne notre rayonnement international.

C’est Marthe Richard qui est à l’origine du sabordage. Avec elle « les abolitionnistes ont enfin trouvé leur Jeanne d’Arc ». Jusqu’alors le Pouvoir avait toujours été hésitant sur la question. La police par exemple, via la brigade des mœurs, voulait absolument conserver le système des maisons de tolérance. Les bordels sont la meilleure source de renseignements imaginable, les flics y placent leurs hommes et savent négocier avec les tenancières. Il est aussi significatif de remarquer que ce sont d’abord les pays européens protestants qui ont interdit le système des maisons de tolérance, l’Eglise, avant de se mettre au diapason de la Démocratie chrétienne ayant toujours eu sur la question des réponses…ambigües.

Mais après guerre, « l’ambiance était aux épurations de toutes sortes ». On veut extirper le Mal, tout désinfecter, que triomphe la justice ! Le discours de Marthe Richard au conseil municipal à Paris est un modèle du genre. Elle commence par invoquer Jaurès, puis la rhétorique s’emballe : « Propreté morale ! …Epuration…Extirper le mal à sa racine ! », « viendra ensuite le nettoyage de la rue et du trottoir » et le coup de grâce : l’invocation de la « Résistance ». Voilà qui a emporté l’adhésion du conseil, des radicaux aux chrétiens démocrates en passant par les communistes. Le projet d’abolition est adopté à 70 voix contre une. Jusqu’ici le syndic des tenanciers avait toujours réussi à prévenir la catastrophe en « subventionnant » les politiciens qui présentaient quelques velléités abolitionnistes. Mais ils ne purent lutter contre la dynamique lancée par Marthe Richard.

Car « Les boxons ce qui va les achever c’est leurs compromissions avec les Fritz ». Non pas qu’ils aient été statistiquement plus répréhensibles que la plupart des Français (loin de là ! beaucoup de taulières ont sauvé la vie de leurs pensionnaires juives ), mais il était fatal que dans ce milieu de truands certains eussent choisi le mauvais côté, le marché noir, les compromissions avec la Gestapo. Or Marthe Richard, en plus d’avoir été espionne au service de la France durant la Grande Guerre, avait aussi ses galons de résistante ! Enfin soi-disant, car Boudard détricote méthodiquement la réputation irréprochable de Marthe. Nous ne révélerons pas tout pour ne pas gâcher le suspense. Car tout est trouble, très trouble, tout pue.

Finalement la loi « Marthe Richard » n’apporta évidemment aucune solution au problème du proxénétisme et de la prostitution. « Au lieu d’être dans les maisons closes, à l’abri des intempéries, toutes ces dames en écossaient sur le trottoir ».

Inaugurées par la caste des prêtres, prolongeant leur existence au cours des siècles grâce à des saintes interlopes, les maisons closes furent fermées par une salope.

Plutôt que de condamner la prostitution, consacrons un Temple à Aphrodite ou à Marie-Magdeleine où officieront des prêtresses à la chair purifiante et des prêtres turgescents. On pourrait même imaginer que des personnes seraient les deux en même temps.

Que Guy Geoffroy, Daniel Bousquet (et Najat Vallaud) nous entendent.