Heureux comme un Chaman dans le Jura

On a planté notre tente au plus grand rassemblement chamanique de France. Pipes sacrées, huttes à sudation, formules anti-Wifi: à Dole, le gratin mondial des chamans réunissait 2.000 ouailles. Parmi les sorciers, des Français comme Jean-Pierre du Luberon: « le Peyotl m’a dit: ‘ne cherche plus, tu as trouvé’. ».

TRYANGLE, qui officie de temps en temps dans les colonnes de Streetpress, a le plaisir de republier ici un reportage bienveillant – quoique parfois grinçant – sur le 7eme festival de Chamanisme. Journaliste indépendant, Geoffroy le Guilcher s’est glissé incognito à ce joyeux rassemblement.

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Domaine du château de Bellevue – Jura (39). « Oh Abuelito fuego, Grand-père le feu, j’invoque l’esprit d’Homer Simpson… » La boutade de Jean-Pierre Meyran fait pouffer la vingtaine de personnes plongée dans le noir et la vapeur. En pleine cérémonie, le chaman français, alias Xhaakõmani de son second nom attribué par le peuple amazonien Shipibo, alterne chants sacrés, conseils de vie et autodérision. « Il ne faut pas se prendre trop au sérieux, développe Xhaakõmani, beaucoup de chamans en rajoutent un peu trop sur le côté solennel de ce qui doit aussi rester un moment de détente. »

Réservé aux hommes vêtus d’un simple caleçon et assis en cercle, le rituel se déroule dans la hutte à sudation dite « de la Mère-Terre ». Une sorte de demi-sphère d’un mètre cinquante de haut, faite de branches et de couvertures vert-kaki. Une bâche bleue recouvre cette étrange ensemble-tortue. « Un sauna + + + », résume le chaman boute-en-train, avant de jeter de l’eau sur les pierres incandescentes posées au centre.

L’objectif de la structure : entendre la prière de chaque participant. Une première voix s’élance du noir :

« Je m’appelle Michel, Grand-Père le feu. Et je souhaiterais savoir où je vais dans ma vie. »

Toutes les voix s’empressent de ponctuer l’intervention par un « Aouuuuuuuh » enseigné un peu plus tôt. « Il faut d’abord que tu sache où tu es avant de te demander où tu vas », répond le chaman Xhaakõmani … « Aouuuuuuuh. »

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Minthé, la « chamane de l’eau » en charge des relations presse

SOMMET MONDIAL

Ce rite amérindien appelé « temazkal » ne se tient pas en Guyane ou au Pérou mais dans le Jura, sur le domaine du château de Bellevue, à une heure de voiture au sud-est de Dijon. Organisé du 24 au 27 avril dernier par le « Cercle de sagesse de l’union des traditions ancestrales », ce 7e festival du chamanisme est le plus important événement du genre sur le territoire national. « Et même en Europe », renchérit son fondateur Soof-Ta – « celui qui connaît et mange la terre » – de son patronyme français Patrick Dacquay.

Cette année, les organisateurs ont compté plus de 2.000 participants. Un record dont se félicite le fondateur du Cercle de sagesse :

« C’est un paradoxe pour l’un des pays les moins spirituels du monde marquée par la Révolution française, la 3e République et les Francs-maçons… La religion française serait plutôt la dé-spiritualisation de l’être. »

Difficile de se faire accréditer à ce rassemblement international de 85 chamans. Minthé, la « chamane de l’eau » en charge des relations presse, nous ayant indiqué que notre projet d’article n’était « pas été accepté par l’ensemble du Cercle », StreetPress a planté discrètement sa tente en tant que festivalier.

SPIRITISME

Au sommet d’une colline, un petit château décoré de tableaux saturés de divinités indiennes domine le lieu. Deux bénévoles coiffés d’un bandeau gardent en permanence une voûte faite de branchages. L’accès permet de pénétrer dans « l’espace sacré ». Cette zone, délimitée par un fin cordon parsemé tous les dix centimètres de bouts de tissus colorés, s’étale sur plusieurs hectares. Même éteints, les portables y sont prohibés, tout comme les cigarettes et la nourriture. Sur cette pelouse : des grands tipis, des huttes à sudation, un arbre à prière, un grand feu central, des chapiteaux, un campement celte, le totem de la paix, des tentes berbère, coréenne… Une véritable foire mondiale de la spiritualité.

La figure du chaman, être mystique originaire de Sibérie et d’Asie centrale, plane au-dessus du rassemblement de pieds nus. Le mot vient du Russe « saman » et des peuples sibériens toungouses. Il désigne celui qui communique avec le monde invisible des esprits et veille sur l’âme de sa communauté. Quand une personne a un problème, c’est qu’elle a fâché – consciemment ou non – un esprit qui lui fait du tort. Il faut, via des offrandes, solliciter les services d’un professionnel du sacré qui a le pouvoir de jouer l’intermédiaire.

CHÉPER

Jean-Pierre, le plaisantin qui pratique le temazcal en bermuda, assure qu’il n’a jamais aspiré à dialoguer avec les esprits. « Mais le chamanisme m’a appelé. » L’appel fut d’abord téléphonique. En 1998, au bout du fil, un ami l’invite à passer une soirée avec des chamans mexicains de passage dans son coin, le Luberon. Jean-Pierre, alors musicien et « un peu thérapeute », se retrouve le soir même dans une hutte à sudation à prendre du Peyotl, un cactus hallucinogène. Il décolle comme une fusée :
« La seule chose que j’ai vu, c’est que j’avais les étoiles qui descendaient. Et le Peyotl m’a dit : ‘ne cherche plus, tu as trouvé’. »

Ce message succinct le pousse, l’année suivante, à se rendre au Mexique pour une marche spirituelle dans le désert. Avant de tester l’Ayahuesca, un puissant hallucinogène andin. Un an plus tard, lors d’un voyage au Pérou, un chaman local l’interpelle :

« Maintenant, arrête de faire l’andouille ! Prends la médecine que je te donne et mène toi-même la cérémonie. »

Il a dit oui et est devenu Xhaakõmani. La drogue – comme la musique, le froid ou même la faim – permet aux chamans d’entrer en transe. Mais attention ! Pas de substances dans le Jura. Un prospectus du festival assure que les pratiques ont lieu « à l’état lucide sans utilisation d’adjuvants et dans le respect des lois en vigueur ».

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Un Indien dans le Jura

SUCCÈS

Au festival de Dole, l’anthropologue Laetitia Merli est l’une des rares personnes autorisées à filmer sur la pelouse de l’espace sacré. La chercheuse, qui prépare un documentaire sur le sujet, constate une « explosion du nombre de chamans » en France. Elle décrit le phénomène comme « un bricolage religieux » entre un vieux fond de croyances populaires françaises et des traditions exotiques, venues d’Asie et d’Amérique. L’universitaire Catherine Le Pelletier parle, elle, d’un « néo-chamanisme » qui vulgarise la dimension ancestrale pour que chacun puisse « inclure son rite à son quotidien ». Une évolution constatée par Jean-Pierre :

« En France, on va voir le chaman avec les mêmes questions que pour le psy. Au Mexique, on le voit si on a mal au bras ou à la jambe. »

Une personne a largement contribué à accélérer la popularisation du phénomène : Corine Sombrun. En 2001, alors que cette mélomane enregistre pour la BBC une cérémonie en Mongolie, elle entre soudainement en transe au son du tambour … et hurle comme un loup. Corine Sombrun a raconté son initiation et sa métamorphose en chamane parisienne dans des émissions et plusieurs livres à succès.

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