Laurel et Hardy et le mariage gay

En l’an de grâce 2012, la France traversait une période de graves difficultés économiques. Pour améliorer cette situation, le gouvernement fixa une priorité : la légalisation du mariage homosexuel. Ainsi, il suscita une vive opposition et n’interrogea pas les principaux intéressés : ni Laurel, ni Hardy ne furent consultés.

Le Tryangle souhaite réparer ce manquement : Laurel et Hardy étaient-ils favorables au mariage gay ?

The Celluloid Closet

Le lecteur s’étonnera sans doute : pourquoi ne pas interroger aussi, dans ce cas, d’autres couples ou bandes de comiques rigolos pouvant, par leur manège, paraître experts sur la question ? Observons. Les Charlots savaient donner de la voix avec la virilité propre à la tradition chorale française. Avec leur esprit querelleur et leurs disputes incessantes, les Marx Brothers étaient plus une famille qu’un couple. Quant au Stooges, leur relation s’apparentait plus à de la haine refoulée qu’à de l’amour homosexuel – nette différence. Car, il faut bien le dire. Laurel et Hardy, eux, se sont toujours aimé, dans la vie comme à l’écran. Friends or… more ? Voici un extrait de The First Mistake, de 1932 :

Stan: Well, what’s the matter with her anyway?
Ollie: Oh, I don’t know. She says I think more of you than I do of her.
Stan: Well, you do, don’t you?
Ollie: We won’t go into that!
Stan: Y’know what the trouble is?
Ollie: What?
Stan: You need a baby in your house.
Ollie: What’s that got to do with it?
Stan: Well, if you had a baby it would keep your wife’s mind occupied; you could go out nights with me and she’d think nothing of it.

Ambigu ? Vito Russo, dans son livre The Celluloid Closet de 1981, qualifia les personnages de Laurel et Hardy de « parfaite incarnation de la relation entre hommes effémines (sissy) » et fit remarquer le fort implicite homosexuel de certaines séquences. Russo fit même remarquer que le Code de la production cinématographique de l’époque s’inquiéta des relations de Laurel et Hardy et observa de plus près les couples humoristiques masculins. A noter qu’en 1926, grande époque de Stan Laurel & Oliver Hardy, le New York Times avait marqué l’histoire en étant le premier journal à utiliser le mot « homosexualité ».

La figure du « Sissy » est la première technique pour les « undercover gays » américains pour représenter des personnages homosexuels. Le Sissy est un personnage androgyne, peureux, sensible et non-sexualisé. L’exemple type est Stan Laurel, capable de fondre en larme pour trois fois rien, marchant sans virilité, incapable de se mettre en colère ou d’opposer une résistance à Oliver (Actif) Hardy. Mais, de façon plus implicite, Laurel et Hardy allèrent plus loin.

Les feux d’un amour véritable

Laurel et Hardy seraient à créditer de l’invention d’un humour gay codé, référentiel et plus tendre que potache. Physiquement, les frictions corporelles des deux hommes sont des moteurs comiques importants de la geste Laurel et Hardienne, que ce soit contraint et forcé par un quiproquo ou par petits gestes – ou remarques – discrètement lâchées :

Sur ce thème, le film le plus remarqué fut sans conteste Their first mistake (1932), dans lequel la femme d’Hardy se pique de jalousie après le dialogue placé en exergue de notre article. Après que celle-ci, furieuse, quitte Hardy, les deux compères s’installent pour vivre ensemble. Ils ne sont pas simplement deux amis, ils sont inséparables et dorment dans le même lit. L’argument réside, bien sûr, dans la situation : Hardy n’a pas les moyens et le temps d’investir dans autres choses que le lit conjugal (sic).

Le ressort comique dure cependant : Laurel continue de s’habiller en femme dès qu’il le peut tandis qu’Hardy tente malgré tout de se créer une vie hétérosexuelle. Comme le fait remarquer le site Weird Wild Dreams, Laurel se venge systématiquement d’Hardy dans ces cas là. Par exemple, dans Helpmates, où il détruit la maison de Hardy (1932) quand il ne ruine pas le mariage d’Hardy comme dans Our Wife en 1931. Le rédacteur du site poursuit l’énumération, accablante :

Dans That’s My Wife (1929), Stan Laurel devient même Mrs. Hardy. Dans Babes in Toyland (1934), Stan joue le rôle de Little Bo Peep et a le privilège de devenir la mariée. Dans Me & My Pal (1933), Hardy oublie d’aller à son propre mariage car il s’amuse trop avec Laurel. Laurel joue le rôle d’une servante appelé Agnès de Hardy dans Another Fine Mess (1930) tandis que dans Duck Soup (1927), Laurel est encore la servante de Hardy. Dans Sugar Daddies (1927), Laurel et Hardy danse le tango, Laurel jouant la femme.

Nous nous quitterons ainsi sur l’image d’un couple heureux, avec comme d’habitude, une autre question qui se soulève soudain, telle l’hydre du Doute, venant assaillir le pauvre rédacteur écrivant ces lignes : une amitié aussi forte que celle qui unissait Laurel & Hardy pourrait-elle encore être lu de façon desexualisée à notre époque ? Un écrivain peut-il décrire une amitié forte sans risquer de se voir traité d’homosexuel refoulé par des générations d’universitaires américains spécialistes des gender studies ? Le point d’interrogation reste entier.