La fessée japonaise est-elle philosophique?

“Ravir à l’homme la possibilité d’expier son forfait par son repentir est, à mes yeux, le plus horrible raffinement de la cruauté”

Robespierre

L’homme vulgaire prend souvent la bêtise pour de l’idiotie. Pourtant, l’histoire a maintes fois prouvé que “con” n’excluait pas “complexe” et que, dans l’intelligence comme dans la sotise, l’esthète pouvait trouver le raffinement : les parfums corsés du Colisée, la finesse artisanale de la crucifixion, la gaudriole du supplice de la roue et les surprenants revirements capillaires de Britney Spears.

Mieux encore, c’est dans ces techniques de torture que l’initié trouve la Vérité d’un pays. Son Âme. C’est pourquoi le TRYANGLE, devant vos yeux ébahis, a décidé d’expliquer la philosophie d’un des pays les plus mystérieux du monde : le Japon. Plus sobrement, le Tryangle interprétera l’un des actes de tortures les plus rigolos de cette contrée qu’il aime plus que tout. Appelée Gaki No Tsukai, cette torture est télévisée : la fessée japonaise est-elle philosophique ?

Clowns et sado-masochistes

Downtown no Gaki no Tsukai ya Aranhende (Gaki no Tsukai pour les intimes) est un jeux télévisés japonais diffusés depuis le 3 octobre 1989. Grâce à un succès jamais démenti, le duo comique Downtown (Hosei Yamakasi et le duo Cocorico) ont fêté le 1000eme épisodes en avril 2010. Chaque émission de Gaki No Tsukai est l’occasion d’un jeu amusant et sadique, auquel participe des personnages plus ou moins récurrent, que l’on peut ranger dans la catégorie «M» ou «S» (Masochiste ou Sadique) selon les cas. Hitoshi Matsumoto, chauve à l’humour absurde, a une nette tendance à perdre les jeux auquels il participe, tandis que Masatoshi Hamada est parfois appelé «Sadist Hamada» dans les jeux. Les deux forment un duo comiques prochent de la clownerie, l’un étant plus proche de l’Auguste, l’autre d’un clown blanc. Au japonais, on parle d’un manzai, composé du Boke et du Tsukkomi, le boke étant distrait, idiot et parfois sénile tandis que le tsukkomi a pour rôle de le corriger avec avec un morceau de papier plié appelé harisen. Idéal pour les claques.

Les plus célèbres jeux de Gaki No Tsukai en Europe sont les «Silent Library» et les «Chingko Machine». Dans «Silent Library» (Sairento Toshokan), le casting de Gaki No Tsukai se réunit autour d’une table dans une bibliothèque et, chacun à leur tour, les participants doivent piocher une carte pouvant signifier la paix, ou la punition. Le gag : personne ne doit laisser échapper un bruit, même lorsque la punition consiste à se voir retirer un à un les poils du nez.

Quant à Chingko Machine, les participants doivent y réciter un hymne à l’émission sans discontinuer ni bégayer sous peine de recevoir un coup de la fameuse machine, une catapulte visant les parties génitales des participants. Oui, cela n’améliore généralement pas leur diction…

Mais les Gaki No Tsukai les plus célèbres sont – sans conteste – les Batsu, ou jeux de la punition…

Faut-il punir le rire ?

Les Batsu sont les plus longs et plus éprouvants. Les plus remarquablement cruels étant les «No laughing» Batsu. C’est ici que nous pouvons réellement commencer le travail d’interprétation ( *se frotte les mains ). Dans les Batsu, les participants sont soumis à des situations hilarantes et absurdes pendant 24 heures. Mais le supplice le plus raffiné est le suivant : tout rire, tout gloussement, est très violement puni. Des hommes masqués se tiennent en embuscade en permanence et les participants doivent se mettre à quatre pattes pour recevoir une fessée avec un long bâton. Imaginez quatre personnes soumises à un sketch hilarant s’empêchant de rire au péril de leur vie.

Dans la séquence suivante, l’actrice et docteur Ayako Nishikawa fait preuve d’une cruauté et d’une impassibilité qui pourrait ne pas uniquement vous guider vers la gaudriole :


Gaki no Tsukai ‘Police Station’ 08 VOSTFR par hotarubi

D’autres séquences sont beaucoup moins bon enfants, et le final des Gaki, passé le rire des situations et la complicité, peut laisser un goût doux amer (aigre-doux ?) à ces jeunes hommes dont les fesses rouges ne retrouveront pas avant plusieurs jours le confort d’un siège, ou le plaisir du sommeil sur le dos. Pour autant, les Gaki représentent, selon toutes vraisemblances, une épreuve philosophique d’ordre ascétique, d’inspiration Shintoïste (la religion la plus ancienne du Japon). Le Tryangle a tenté de retracer le parcours mental de cette fessée philosophique à la fois pour sa victime, acteur humilié, entraîné à la sobriété, et son spectateur, sain et sauf, mais soumis à un spectacle étrange :

Comme vous pouvez le voir dans le schéma 1 (ci-dessus, oui, juste-là), la fessée (image 2. en fin de l’article) est le point d’orgue d’un dispositif sado-masochiste dont l’objet est la purification. Le groupe d’hommes s’apprêtant à vivre le batsu pénètre dans un lieu étranger, toujours dans une situation où des instructeurs font mines de leur faire passer des tests. L’objectif étant de survivre pendant les 24 heures. Comme montré ci-dessus, soumis à des situations amusantes, les participants finissent par rire, souvent entraîné par le groupe, puis ils doivent faire preuve de plus en plus de contenance. Le rire se fait nerveux et chaque fessée devient purgation de cette nervosité, et un pas supplémentaire vers le contrôle de soi. Même si les situations sont toujours surprenantes, certains gags sont répétés jusqu’à 30 fois pour tester les progrès des participants.

Dans la vidéo suivante, l’un des participants doit subir une danse ridicule de sa femme plusieurs fois, pendants près de 10 minutes, souvent avec de faux départ. Durant la nuit, une musique répétitive vient troubler les dormeurs épuisés :


(ENG SUB) Gaki No Tsukai Highschool Part 4 par watchgakinotsukai

De leurs côtés, n’oublions pas les spectateurs qui sont soumis à une double situation amusante et dont le rire s’apparente au rire des participants. Mais dans la réalité leur rire n’est pas puni, aucun homme masqué ne vient les fesser, les entraînant dans une spirale de rire libérateur : il n’y a pas de quoi s’inquiéter, pas d’hommes derrière la porte, pas de culpabilité.

D’un côté, le contrôle de soi et la purification, de l’autres, la légèreté et le zen. Une éducation à l’ancienne :

Image 2. Education à l’ancienne.

Le Japon fait, comme à l’accoutumée, preuve d’un raffinement bon enfant dans l’explication pédagogique d’une philosophie à la fois Shintoïste (Purgation) et Bouddhisme (Zen).

La fessée spirituelle

La psychologie et le sadisme suffisent à expliquer les Batsu. Pour autant, le Tryangle s’interroge : y aurait-il de la spiritualité dans cette fessée ? Le Shintoïsme est la plus vieille religion du Japon. Polythéiste, est centrée autour des kami, esprit qui habitent chaque parcelle de vie. Le Tryangle cite wikipedia, son site favori :

Innombrables, les kamis sont partout, se cachant sous les formes les plus diverses, aux endroits les plus inattendus. Il convient donc de se montrer à leur égard d’une prudence extrême, d’autant que les plus petits sont parfois les plus susceptibles. Leur caractère est ambigu, comme la nature elle-même. Tous, y compris les meilleurs d’entre eux et les plus grands, possèdent un « esprit de violence », arami-tama (荒御魂), qu’il faut se concilier ou neutraliser par des rites appropriés. Certains sont même dangereux dans leur principe, tels les « dieux des épidémies » ou les « dieux des insectes », prédateurs du riz. Tous peuvent vous frapper d’un tatari (祟り)

Pour échapper à ce coup de bâton, il faut se purifier, et purifier son entourage. Cela peut-être une purification d’ordre hygiénique ou symbolique.

Dans certains cas, et notamment quand la souillure est due au contact de la mort, il convient d’observer certaines abstinences (忌み, imi), au cours de retraites plus ou moins prolongées.

Le Voyage de Chihiro est le récit de la visite d’une petite fille au pays des Kami qui hante un ancien village. A noter que l’un des premiers Batsu a lieu dans une maison hantée. La théorie du Tryangle est, avouez-le, délicieusement rétrograde <insert smiley>.

Mais la question reste : purgation de la nervosité, de la peur, de l’excitation, le Batsu serait-il un exorcisme japonais qui se pratique sur les fesses ?