Horse_Ebooks : l’improbable poésie des Spambots

Le Spam est une intarissable source de poésie, au point que certains parlent  de Spoesie (Spoetry). Comme le faisait remarquer Adrienne LaFrance sur Medium.com, le 5 août dernier, c’était l’anniversaire du plus célèbre Spambot, j’ai nommé: @Horse_Ebooks. L’occasion idéale pour causer du plus inspiré des robot-poètes.

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Une petite définition d’abord : un Spambot est conçu pour générer des spams automatiquement. Sous la forme de Twitterbot sur Twitter, ces bots postent automatiquement des spams, souvent pour diffuser un lien vers des publicités, améliorer le référencement d’une page ou même répondre automatiquement à un mot clef (ou auto-reply, comme le bot #Betelgeuse_3 qui répond automatiquement aux tweets comportant la phrase « Beetlejuice, Beetlejuice, Beetlejuice« ). Parfois, ils sont dotés d’une Intelligence Artificielle primitive leur permettant de produire des messages d’apparence humaine pour éviter la détection : c’est le cas d’Horse_Ebooks.

Créé le 5 août 2010, voilà plus de 3 an que ce bot a été programmé pour générer automatiquement des tweets. Depuis lors, le compte a connu une popularité grandissante de par son talent à produire 140 caractères absurdes et nonsensiques. Par exemple, le tweet suivant, probablement le plus célèbre et qui servi de déclencheur à une notoriété jamais démentie depuis:

Selon les calculs de la journaliste, ce seul tweets a généré près de 4,2 millions d’impressions, c’est-à-dire que 4,2 millions de personnes l’on potentiellement vu et lu, ce qui fait incontestablement d’Horse Ebooks le Spambot avec le meilleur Klout du monde. De quoi faire des jaloux, même s’il faut avouer qu’avec des tweets aussi géniaux, il le mérite :

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Une communauté s’est formé autour du mystérieux compte twitter : les horse_ebookers. Leur principal passion ? Déterminer qui se trouve derrière le mythique spambot. Adrian Chen, de Gawker, a mené une enquête qui lui a permis de le retrouver : un développeur russe du nom d’Alexey Kouznetsov. Ce dernier aurait décliné toute demande d’interview, refusant ainsi de lever les mystères spoétiques. Mais comment a-t-il fait pour que ce robot produise, malgré lui, autant de poésie ? Quel est le secret de l’algorithme robotico-poétique d’horse_Ebooks ?

Imaginez qu’un jour, la machine dit ceci :

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Et un autre jour, ceci :

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La génération automatique de poésie n’est pas une idée nouvelle, et on la trouve dans une certaine mesure chez les surréalistes ou l’Oulipo, dans le poétron mais surtout chez Jean-Pierre Balpe, le vrai précurseur notamment avec ses Technopoèmes.

Pour autant, selon The Daily Dot, le créateur de Horse Ebooks a récemment pris conscience du filon et tente de profiter de la popularité de son méta-spambot absurdiste. Moralité : sur le web, tous les business model sont possibles ! Et comme le dit la journaliste du Washington Post, le phénomène Horse_ebooks s’étend à toutes sortes de produits dérivés de plus en plus débridés :

In the meantime, Horse_ebooks continues to inspire fan fiction,parodyT-shirtspostersdating advicecomic strips,a mock campaign speechYouTube animationsat least one yearbook quotepoetry, and academic study.

La spoésie, premier pas vers la singularité, c’est-à-dire la création d’une intelligence artificielle prenant conscience d’elle-même ? Peut-être bien. Et – Ô surprise – ce premier pas est la bêtise artificielle et la poésie absurdiste ! On imagine, dans mille ans, une civilisation robotique née des cendres de l’humanité, retraçant dans une salle de classe l’histoire de l’ascension des robots et de l’art robotique. Nul doute qu’Horse_eBooks serait considéré comme un précurseur. Leur Virgile à eux ?

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Faut-il s’inquiéter que l’enthousiasme à l’égard d’un robot poète surpasse de très loin la ferveur qui entoure les derniers rimailleurs de notre temps, comme notre cher Michel Houellebecq ? Goût post-post-contemporain du décalé, la sensibilité de l’homo post-modernus va à ce qui n’est plus le fait d’un être humain. Elle se pâme pour les grincements d’une machine plutôt que pour les errements d’une plume. La révolution surréaliste avec ses cadavres exquis et son écriture automatique a tellement habitué le lecteur à trouver lui-même la beauté dans toutes créations, et à nier toute forme de bon goût, que l’art ne semble plus pouvoir être que le fait de créateurs parfaitement inconscients de ses règles, quitte à les parodier.

Pendant les Trente Glorieuses, Jean Tinguely, artiste plasticien suisse, bâtissait des machines aux rouages absurdes et inutiles qui se voulaient parodie d’une époque techno-enthousiaste où le progrès et la machine devaient libérer l’homme. Etrange retour de force cher Tinguely : ce sont les machines idiotes qui prennent aujourd’hui possession de la machine artistique. L’homme, lui, n’a plus qu’à l’actionner.

Nous laisserons le mot de la fin à Horse lui-même :

Source : Happy third birthday, @Horse_ebooks! — Language & Lingustics — Medium.