J’ai discuté avec des Alchimistes (sur internet)

Comment devient-on alchimiste aujourd’hui ? Après l’interview d’un alchimiste français et une petite visite dans l’Alchemosphère, le Tryangle vous invite à découvrir le parcours hors-norme de quatre alchimistes, trois américains et un suisse.

Le Tryangle leur a demandé où, comment et pourquoi.

Du chômage à l’Alchimie

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Nos alchimistes n’ont pas une expérience égale : KC Wilkerson, sans doute le plus renommé des quatre, a personnellement étudié avec Frater Albertus, célèbre alchimistes mort en 1984 qui a fondé la Paracelsus Research Society à Salt Lake City. Mais, lorsque je lui demande comment sa vie s’est tournée vers l’alchimie, il répond que le premier responsable… C’est le chômage :

Après mon service militaire, l’économie américaine était très mal en point. Les emplois étaient rares, alors j’ai décidé d’apprendre à trouver et sélectionner des plantes rares et comestibles pour subvenir à mes besoins alimentaires.

La débrouille champêtre et le Pôle Emploi comme chemin vers le Grand Oeuvre ? C’est ainsi que KC commence à cueillir des herbes médicinales, à les faire sécher, à les piler et à les mettre dans des capsules pour permettre leur ingestion. Un modèle d’autonomie qui lui permet de garder la tête hors de l’eau pendant la crise :

A peine avais-je commencé à en parler autour de moi que mes amis commencèrent à demander si je pouvais leur en vendre. Je me rendis compte que cela me permettrait de gagner un peu d’argent.

Botaniste balbutiant, KC reçoit un message de l’une de ses connaissances qui, ayant eu vent de son intérêt soudain pour la médecine naturelle, l’aiguille vers le Paracelsus Research College (second nom de la société de Frater Albertus évoqué plus haut) :

J’ai tout de suite pris des cours avec eux en utilisant l’argent que je gagnais en vendant mes produits.

Un exemple pour les chômeurs français ?

Kit de petit chimiste, kit de grand alchimiste ?

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Le cas de KC peut être rapproché de celui d’Alexander Robert Jenner : sa passion pour la chimie et l’alchimie sont né exactement au même instant à l’âge de 12 ans, lorsque son père lui a offert un cadeau hors du commun, d’autant plus exceptionnel que c’était le premier cadeau que son père lui offrait : un « Kit de petit chimiste » ainsi que le « Golden Book of Chemistry Experiments » de R. Brent :

Initialement, je voyais l’alchimie comme une sorte de proto-chimie, mais après, je pris conscience qu’il s’agissait de deux choses radicalement différentes. Presque indépendantes.

Alexander Jenner se passionne alors pour l’alchimie et ne voit pas pourquoi celle-ci ne pourrait pas changer avec les progrès des sciences et des techniques. Cette opinion n’est pas partagée par tous, nous y reviendrons. Qu’à cela ne tienne : voilà 35 ans qu’Alexander Jenner travaille dans les sciences.

Depuis 35 ans, je fais de la R&D (Recherche et développement) en médicaments phytopharmacologiques (ensemble de remèdes médicaux tirés de plantes) et nootropiques (augmentation cognitive), et mes recherches se constituent autant de technique spagyrique (alchimique), des méthodes modernes de l’industrie pharmaceutiques et de la science physique.

Et ce n’est pas son doctorat qui l’influencera le plus, mais bien la pratique de l’alchimie qu’il approcha avec rigueur scientifique.

L’alchimie mystique

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Prana mudra

Nos deux autres alchimistes s’intéressent davantage à l’alchimie philosophique et mystique : Frater Fairland et Kyle B. n’ont pas autant poussé leur pratique laborantines que les deux premiers, si ce n’est Frater Fairland qui a bien commencé ses recherches. Interrogé sur ce qui l’a mené à s’intéresser à l’alchimie, Frater Fairland me confie que ses parents pratiquaient la méditation et qu’il a grandi dans un environnement ouvert aux pratiques mystiques. Quant à Kyle, son parcours commença alors qu’il faisait des études de massage :

Je devins passionné par la nature du corps et sa relation avec la spiritualité de chacun. Quand j’étais plus jeune, je m’intéressais déjà à la magie et c’est ma re-découverte des arts ésotériques, plus tard, qui m’amena à étudier l’alchimie

Kyle insiste sur le fait qu’il n’a appris que des techniques d’alchimie « internes » impliquant le prana, le chi et des pratiques taoïstes et védiques, une influence donc radicalement différente à nos deux premiers alchimistes et bien moins associés à l’alchimie que les autres.

Mais Kyle manque d’espace et m’affirme qu’il ne désespère pas de pouvoir avoir son propre laboratoire quand il aura déménagé. L’alchimie est, aussi, une question d’espace.

« Pourquoi l’alchimie ? »

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Le « pourquoi » de l’alchimiste dépend autant de son itinéraire personnel que de son projet : que veut-il réaliser grâce à l’alchimie ? Adam n’a pas de raison particulière autre que la curiosité et la fascination pour une pratique qu’il croyait « métaphorique mais qui ne l’est aucunement ». Mais pour Kyle, le projet est précis :

Je recherche à améliorer ma santé et surtout l’augmentation de mes capacités psychiques et mémorielles. Aussi bien dans l’enfance qu’à l’âge adulte, j’ai eu plusieurs expériences precognitives et des rencontres avec des esprits, ce qui me mena à croire qu’il est possible de devenir télépathe. J’ai lu que certains élixirs alchimiques pouvaient améliorer ces capacités alors…

Cet espoir que porte l’alchimie pour certains, Alexander Robert Jenner le compare à la découverte d’une nouvelle religion. Il s’émerveille « de pas avoir, dans sa rencontre avec la chimie, éprouvé une passion pour ce qui l’a précédé ». Selon lui, l’alchimie est autant une pratique scientifique qu’un ascétisme, une mystique de la matière et de l’énergie. Une religion de laboratoire que l’on pratique avec des instruments pour dépasser ses préjugées rationnels.

Qu’est-ce que l’alchimie moderne ?

schutzTobias Schutz’s ‘Harmonia macrocosmi cum microcosmi’ (1654)

Le Matin des magiciens, le célèbre ouvrage de Louis Pauwels et Jacques Bergier consacrait une partie entière aux alchimistes, y compris aux modernes. Il  insistait sur le caractère précurseur de l’alchimie et, sans trop fournir de référence (marque de fabrique de l’ouvrage), évoquait même la science de l’atome. Nous n’épiloguerons pas sur les détails et les éléments Gurdjieffien de l’oeuvre. Mais l’Alchimie est-elle devenue « moderne » ? Et les anciens thèmes de recherches ont-ils changé ?

Les alchimistes interrogés par le Tryangle ont tous mis en valeur l’utilisation d’outils modernes de la chimie et de la biologie, comme le souligne Kyle :

Les alchimistes qui pratiquent le laboratoire utilisent les mêmes outils qu’un chimiste moderne. Les ordinateurs occupent encore une place réduite dans le laboratoire, mais j’imagine qu’ils doivent être massivement utilisés pour noter les avancées des recherches par certains.

Alexander Robert Jenner se fait le parangon de ce rapprochement en terme d’outils, et il insiste sur le fait que l’alchimie contemporaine peut être pratiqué en utilisant des rampes d’extraction à vide, « lignes de cryodistillation sous vide et rampes de Schlenk, réacteurs chimiques, colonnes de fractionnement, évaporateurs rotatifs« . Sans oublier un spectromètre, de la CLHP et autres instruments technologiques. Mais beaucoup n’utilisent pas ces outils, déjà parce que tout le monde n’a pas accès à ce genre de technologies, mais aussi, en ce qui concerne certains alchimistes, par fidélité dans la tradition. En effet, l’importance de la sensibilité de l’alchimiste occupe une place importante et la technologie agit parfois en contradiction avec leur conception de l’alchimie. Frater Fairland souligne que, contrairement à la chimie, le rôle de l’observateur est crucial pour qu’une expérience soit couronnée de succès. Autrement dit, il ne faudrait surtout tourner le dos à vos cornues et vos alambics…

Exemple de renouveau théorique : la pierre philosophale était-elle un microbe ?

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Au-delà de l’utilisation d’outils, les spéculations sur les rapprochements des sciences actuelles et le Savoir secret des alchimistes a nourri quantité d’ouvrages. La célébrité de KC Wilkerson vient notamment de son interprétation de la constitution de la Pierre Philosophale :

J’ai écrit un ouvrage où je partageais ma découverte selon laquelle la Pierre Philosophale, utilisée pour redonner au corps sa jeunesse perdue et transmuter les métaux, pourrait être, en réalité, inspiré par d’anciennes expériences et des recherches scientifiques sur des archéobactéries.

Les archées ou archaea forment un « groupe de micro-organismes unicellulaires » sans noyau ni organites intracellulaires qui sont, comme le souligne Kyle B. visiblement très admiratifs du travail de Wilkerson, sont des extremophiles, c’est-à-dire des organismes capables de survivre dans des conditions extrêmes « comme les espaces sulfuriques des fin fonds de l’océan« . L’intérêt pour ces archéobactéries peut justement se comprendre par leur goût des conditions extrêmes, et leur propension à se développer aux hautes températures qu’affectionnent les alchimistes. La pierre philosophale serait-elle un nid d’archéomicrobes ?

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Les alchimistes insistent beaucoup sur ces liens. Quotidiennement, ils cherchent dans l’actualité scientifique des traces de leurs propres pratiques, affectionnant la création de ponts avec la chimie moderne.

Frater Fairland souligne l’importance des expériences de « fusion froide« , terme utilisé pour désigner ce qui semblerait être une fusion nucléaire réalisée dans « des conditions de température et de pression ambiante, contrairement à la fusion à haute température » et ce en utilisant des dérivées d’une expérience réalisée par Martin Fleischmann et Stanley Pons en mars 1989. Très polémique, ces dernières ont – justement – été qualifiées par la communauté scientifique de « tentatives alchimiques« .

C’est d’autant plus intéressant, souligne Alexander Robert Jenner, qu’on sait aujourd’hui combien est difficile le saut de Bi à Au, c’est à dire du Bismuth (longtemps confondu avec le plomb) vers l’or. L’alchimiste d’origine suisse résume ce désir en décrivant son travail :

« J’ai toujours ressenti une vive passion pour l’histoire des sciences, et j’ai essayé de réconcilié l’intuition des premiers chimistes (alchimistes et apothicaires) avec les méthodes scientifiques d’aujourd’hui ».

Pour ce dernier, la quête de la pierre philosophale, et en particulier de ses propriétés d’allongement de la vie, reste un sujet de grande valeur :

« Imaginez les conséquences sociales extraordinaires d’une telle découverte, et les implications technologiques ! Nous pourrions établir un nouvel humanisme, une humanité solaire, quelque chose de véritablement différent qui mènerait notre espèce vers une ère nouvelle ».

Actualité de leurs laboratoires

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Pendant que nous parlons, les recherches alchimiques se poursuivent. Alexander Robert Jenner a bien évolué depuis son premier laboratoire. Au départ, il travaillait dans la cave de sa maison de famille à Waltham, en Angleterre. Son laboratoire se résumait à une paillasse fabriquée par ses soins, avec une réserve d’eau et une balance fabriquée à l’aide de deux canettes de soda, des lacets et de la cire à cacheter. Puis il put s’installer dans une pièce plus large au deuxième étage, avec de véritables paillasses et du matériel de chimie professionnel.

Le travail d’Alexander Robert Jenner consiste, pour l’essentiel, à créer des remèdes à base naturelle produits par des processus alchimiques-spagyriques, notamment au sein d’une entreprise créée en 2010 qui vend des produits « naturels et mono-atomique ». Pour autant, cette entreprise s’intéresse aussi au processus d’arrêt du vieillissement mais l’Alchimiste-entrepreneur ne souhaite pas en parler davantage.

Frater Fairland partage lui aussi quelque unes de ses expériences sur les bases de l’alchimie :

Je travaille avec des plantes pour créer les essences spagyriques (« spagyric teinctures »). Voici une façon simple de le faire : verser de l’alcool sur la matière choisie et laisser la matière digérer. L’esprit ou « Mercure » de la substance va la quitter avec l’alcool, ce qui en extrait ainsi le « Soufre » et les huiles. La matière ainsi transformé est considérée comme morte. Nous brulons alors la substance pour la réduire à une cendre blanche et en extraire les « Sels » qui sont ensuite mélangé avec le liquide pour obtenir la « teinture » ou essence ».

Dans la photo ci-dessous, vous pouvez voir le liquide sombre et jaune qui se sépare du miel :

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Ici, on voit la « réduction du miel à l’état de cendre » :

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Les plantes digèrent l’alcool :

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Voici les sept essences qui suivent le processus. Les sept herbes correspondent aux sept planètes et, quand c’est terminé, elles sont utilisées le jour de la semaine correspondant :

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Difficile de résumer les recherches de KC Wilkerson, et là n’est pas le but de notre article. Voici une vidéo extraite de son compte YouTube où il publie aussi ses chansons :

En somme, l’alchimie est toujours vivante. Nous avons tenté de montrer par cet article neutre, sa sociologie, parfois étonnante, parfois banale. Pour terminer, nous laisserons la parole à Alexandre Robert Jenner qui nous a fait part d’une anecdote qui laissera une petite part au rêve :

« En 1988, j’ai eu une rencontre providentielle avec un éminent scientifique d’origine allemande, dont je ne révélerai jamais publiquement le nom. Celui-ci m’a introduit au monde de la pharmacologie et de la spagyrie. Sa connaissance de l’alchimie était immense et j’ai de sérieuse raison de penser qu’il a la Pierre philosophale en sa possession. Personnellement, j’ai assisté à une transmutation en or en laboratoire. Cela s’est produit devant trois témoins, comme la tradition l’exige, et avec un strict contrôle pour s’assurer qu’il n’y avait là aucune tromperie ou fraude. Cependant, c’est un fait dont je ne souhaite pas parler davantage ».

Cover : Picture of Alchemy Lab by Paul W. (found here)