Quel est l’âge mental d’un politique ?

J’ai toujours été fasciné par la longévité des politiques.

Un homme politique d’âge mûr va, comme Juppé, sur ses soixante-dix ans ; les nonagénaires n’en sont pas encore à sucrer les fraises, mais font figure de patriarches, façon Giscard. Sarkozy, Royal, Copé relèvent de ce que les Romains appelaient des adulescens, terme qui pouvait s’appliquer à des hommes de trente-cinq ans. Ils sont l’équivalent du jeune premier dans la vie civile.

Quant à un François Baroin, dont d’aucuns soupçonnent une opération des cordes vocales ayant débloqué cette voix de stentor, il fait figure de gamin, de petit pistonné. On dirait qu’il fait ses classes, pour réapparaître peut-être chez Copé en 2017, quand il aura pris un peu de bouteille. Le Canard enchaîné relevait d’ailleurs que pour avoir le Ministère des Finances, promis à Bruno Le Maire, il se serait roulé par terre de rage sur les tapis de l’Elysée, frappant les moulures délicates des murs du Palais de ses petits poings crispés.

C’est curieux comme on vieillit bien et tard dans l’eau de jouvence du pouvoir[i]. C’est comme si l’œil de Dieu, remplacé par l’œil plus superficiel des caméras, se détournait de vous un petit moment, vous laissait en stase. Les révélations sont, de plus, nombreuses, qui laissent entendre que les hommes politiques de la Vème République, de De Gaulle à Sarkozy, sont de plus en plus jeunes d’âge mental. On se demande ainsi si Sarko est bien le post-ado qu’on soupçonne[ii].

La campagne de 2012 marque un temps fort dans cette catabase, c’est-à-dire cette descente aux enfers vers la puérilité. L’homme politique depuis 2007 nous y avait lentement conditionné, qui partageait avec le petit garçon le fait d’être bagarreur, revanchard et brouillon. Pour rappel cette vidéo bien connue.

“C`est toi qu`à dit ça ? … Descends un peu!… Ben viens, viens… “. Le débat s’élève à mesure que l’échéance approche.

C’est d’abord le champ lexical des jeux vidéos et des blockbusters : « chez nous, c’est massacre à la tronçonneuse », a déclaré Copé, auquel Fabius répond « qu’il serait temps de faire monter les snipers ». C’est ensuite celui de la cour de récréation, vocable très usité, qui désigne une espèce de ring où on se toise et on joue les durs, image reprise de Sarkozy par Hollande, appliquée au deux par Marine Le Pen, et qui continue son bonhomme de chemin avec succès[iii]

Une campagne électorale où un candidat déclare qu’il va « taper » l’autre, qui rétorque qu’il va «exploser » ce dernier, m’a paru un peu étrange en ces heures qu’on dit quelque peu cruciales. Les images infantilisantes déferlent et donnent à tout ce manège un air d’apocalypse. Pour étayer encore le constat, on notera l’utilisation imaginative par Luc Chatel du nom de Babar, le compagnon de Céleste et Roi des Eléphants, pour qualifier François Hollande et « son art de tromper les français ». Le même avait auparavant filé la comparaison entre son chef et Astérix, le petit Gaulois rusé et Louis-de-Funèsien.

Cette campagne sent donc quelque peu le « Gloubi boulga » (Le Pen), pour ne pas dire le « gloubi glouba » (Mélenchon).

Ce constat fait, on n’explique pas grand-chose : on peut y voir le règne de la « petite phrase » inusable et sacrée qui rebondit de cerveaux de communicants à langue usée de journalistes.  On peut appréhender ce phénomène de façon plus globale : au Tryangle de remonter la pente de cette chute en Jouvence.

Un petit détour par les institutions économiques nous permet d’éclairer le sujet. Les instances représentatives des pays riches, au premier rang desquelles le FMI ou l’OCDE[iv], dont un des rôles est de préconiser des réformes pour développer notre économie, sont coutumières d’expressions du genre « bons élèves » ou « mauvais élèves » pour qualifier les réussites et les échecs économiques des pays membres, et le zèle avec lequel ils mettent en œuvre leurs plans de changement « clés en main ».

Cela s’explique par la volonté de recréer une hiérarchie, les pays riches étant immanquablement les bons élèves, dont les pays bananiers doivent autant que possible s’inspirer. L’Occident continue ainsi par voie détournée, celle de la hiérarchie sobre des classements de pays par PIB, sa vocation de donneur de leçon et son ton paternaliste. Les six milliards d’individus sont ainsi plaisamment réduits à une classe de deux cents élèves, Washington ou Paris se voyant octroyer le privilège de servir de salle des professeurs.

On le voit, la contrepartie de l’infantilisation, c’est la hiérarchie. La signification profonde des élections, d’où l’usage de l’infantilisation politique, c’est de mettre l’électeur lambda en situation de juger, de hiérarchiser, de sanctionner. Marine Le Pen parle ainsi du 6 mai comme d’un « Conseil de classe » qui viendra sanctionner l’élève Sarkozy pour ses écarts de comportements. Tous les élèves ne méritent d’ailleurs pas le zéro de conduite, et les journalistes de présenter chouchou et coqueluches, favoris, 3ème homme, femme…

Cela en dit également beaucoup sur l’idée que les Français se font des enfants, et sur notre système scolaire : en effet, pourquoi toute compétition rappellerait l’enfance, si l’enfance en France n’était surinvestie par la compétition ? Notre vision de la vie même, est saturée par l’idée de classement. On a pu ainsi soutenir que les Français ont de leur avenir une vision « lamarckienne », contre une vision « darwiniste » pour les anglo-saxons. Lamarck classe toutes les espèces vivantes selon une échelle d’évolution, là où Darwin insiste sur les essais et rectifications opérées par la nature. Résultat : le « rêve américain » serait d’expérimenter, de créer des entreprises, quitte à se foirer. Le « rêve français » de réussir des études sans fautes, d’intégrer une grosse boîte et d’y pantoufler en attendant sa promotion en interne. N’oublions pas d’ailleurs que la plupart de nos politiques sont des Enarques, issus de l’école où, il n’y a pas si longtemps, ces vieux élèves étaient classés chaque semaine selon leur mérite.

Ainsi, le vote se réduirait à l’établissement d’un petit classement mesquin, par des électeurs rétablis, pour l’occasion, dans leur statut de majeurs. Les dirigés forts de leur masse, réduisent donc les dirigeants en puissance au rang de bambins quémandeurs, et décideront de qui ira au coin pour cinq ans, de qui sera au tableau d’honneur. On retrouve l’ostracisme des Grecs, vote où on inscrivait sur une coquille d’huître le nom de celui qu’on désirait exiler – le premier ostracisé resté dans l’histoire avait pour nom Hyperbolos, ce qui permet, par delà les siècles, de renouer la chaîne des épithètes de cours de récréation.

Notre récréation d’électeur, à la lueur de ses enseignements, est présentée par les médias comme un processus de sanction, où la répétition abrutissante des petites phrases nous réduit à glisser dans l’urne un petit glaviot haineux, à la face de celui dont nous ne voulons pas.


[iii] Ainsi, à Canal + dimanche, Nathalie Kosciusko-Morizet stigmatise Hollande : « Il se plaint aussi que les autres dirigeants européens ne veuillent pas discuter avec lui, ben oui il joue les fiers à bras dans la cour de récréation »