Ian Cat Vincent : « Dites à Slenderman d’aller se faire foutre! »

La tentative d’assassinat en l’honneur de Slenderman perpétrée par deux jeunes filles âgées de 12 ans a placé ce monstre du web sur le devant de la scène. Consultant spécialisée dans la défense contre les activités paranormales et journaliste, Ian Cat Vincent n’a pas attendu qu’un tel événement arrive pour avertir sur les dangers de cette créature. Il a consacré une étude à sa naissance sur les réseaux, puis à son passage d’entité imaginaire à Monstre se glissant dans les mailles de notre réalité.

Pour le Tryangle, Ian Cat Vincent aborde la possibilité d’un exorcisme : peut-on faire disparaître un monstre invoqué sur le web, par l’activité inlassable des internautes inconscients ? Réponse.

Traduit de l’anglais par Malo Sutra Fish.

Tryangle : Comment exorciser Slenderman ?

Ian Cat Vincent : On ne peut pas ! Comme je l’ai mentionné dans mon second article sur Darklore, citant Alan Moore, on ne peut pas tuer une idée. En revanche, ce que l’on peut faire, c’est travailler contre une manifestation spécifique ou instance de Slenderman – j’en parle plus amplement lors de ma conférence donnée à la librairie Treadwells de Londres. Essentiellement, il y a trois approches (qui se combinent) : combattre une manifestation de par sa nature, la contrer avec une formule convoquée de divers mythos desquels elle ne peut se protéger, ou d’attaquer directement le mythos par lui-même (le parodiant par exemple).
Ou si vous avez le bagage technique et la magie pour… Lui dire d’aller se faire foutre !

Vous qui travaillez sur le cas Slenderman depuis longtemps, quelle est votre réaction à l’horrible affaire qui a eu lieu dans le Wisconsin ?

C’est une tragédie, et j’adresse ma sympathie à toutes les familles qui doivent traverser une telle épreuve. Cela fait des siècles que les gens accusent des dieux et des démons de les avoir poussés à commettre des actes atroces. Que Slenderman soit invoqué parmi ces dieux et ces démons est nouveau, mais ce n’est pas surprenant. C’est un problème vieux comme le monde.

Exemple de parodie attaquant le mythos : le Splendorman

Comment vous est venue la passion des “trucs bizarroïdes” ?

Je suis tombé dans la marmite petit, j’étais fondamentalement un enfant bizarre. Je faisais dès l’âge de 7 ans beaucoup d’expériences mineures de manifestations psychiques (rêves prémonitoires, sensibilité à l’étrange, etc.) et  j’avais une fascination ipso facto pour la mythologie. Par chance, la bibliothèque locale ne m’a jamais empêché de lire ce que je voulais… Et assez vite j’en suis venu à lire des livres de psychologie d’un assez haut niveau ainsi que des lectures sur l’occulte par Aleister Crowley, John C. Lilly, Timothy Leary et leurs pairs, ce qui a largement contribué à une certaine ouverture d’esprit et me donna les outils nécessaires pour faire face à tout ce que je pouvais ressentir et expérimenter.
Vers mes 12 ans, j’ai lu pour la première fois le travail de Robert Anton Wilson et son modèle multidimensionnel fut un profond changement de vie. Son angle d’analyse de la linguistique (comment le langage modèle nos croyances, et à travers cela notre perception de la réalité) m’a offert une perspective vitale qui, à ce jour, continue d’influencer mon approche du monde, et pas seulement celui de l’occulte.

Vous avez fait du travail de terrain sur le paranormal ; en quoi cela consiste-t-il ?

La plupart de mon travail de terrain consiste à aider des gens qui ont des problèmes de nature paranormale; ils croient être hantés ou maudits, ou que leur maison en contient des traces. Alors cela peut varier entre un enseignement sur place sur la protection ainsi que sur des rituels d’épuration à de la pratique telle que la réalisation d’un acte de bannissement, de rompre la malédiction à la demande d’une personne, mais cela peut aussi être la mise en place d’une caméra de surveillance pour détecter de possibles visites nocturnes.

Qu’est ce que la magie de combat ?

C’est l’utilisation de techniques magiques pour se défendre ou s’opposer à d’autres actions magiques ou occultes. La plus grande part de la chose consiste à pouvoir sentir quelle sorte de magie fut utilisée contre une personne ou un espace, puis à trouver la meilleure contre-mesure – bien que parfois, ça se rapproche plus d’un réflexe proche de l’art martial. Utilisant de la sorte mon énergie interne ou Qi contre celui d’un autre. De la manière dont je conçois mon modèle d’action magique, l’incantation est essentiellement une structure Qi sujette à des instructions précises – tout l’art consiste à guider, à riposter ou à contrer l’énergie elle-même ou ses instructions.
C’est proche de la logique appliquée au désarmement de bombe – il faut pouvoir comprendre comment concevoir une bombe de manière à savoir en arrêter le mécanisme avec sûreté et surtout sans sauter avec. Malheureusement, je connais aujourd’hui très bien le fonctionnement des malédictions.

Comment en êtes-vous arrivé à créer la firme de sécurité paranormale Athanor Consulting ? Avez-vous eu beaucoup de clients ?

Lorsque j’eus atteint la vingtaine, j’étais devenu dans mon cercle d’amis l’homme de la situation concernant tout problème occulte. J’ai de ce fait acquis une certaine expérience en les aidant, et finalement je décidai de professionnaliser cette dernière en fondant Athanor Consulting (qui exista de 2001 à 2006). A cette époque, il y avait un essor considérable de la pratique “Feng Shui” – des gens venaient chez vous pour essayer d’améliorer le flux Qi de la maison, mais personne au Royaume-Uni n’offrait quelque service qu’il soit pour aider les gens autrement que pour des problèmes très mineurs … Je voulais aider ces gens et établir un certain professionnalisme dans cette démarche.

Nous n’avions que peu de clients – peut-être une moyenne de quatre à six personnes maximum par année. Cela était principalement dû au fait que je refusais la pratique aux personnes qui pouvaient trouver de meilleures solutions dites normales plutôt que paranormales, comme une thérapie. La plupart des gens qui se croient maudits sont en fait victimes de malchance – une crise économique, déception amoureuse. Une vraie malédiction est en fait un phénomène assez rare, mais très ravageur.

La conférence sur l’exorcisme de Slenderman « Fight Fiction with Fiction » :

Est-ce similaire à de l’exorcisme ?

Dans un sens… Bien que lors (des très rares) sessions d’exorcisme que j’ai réalisé, il m’a toujours semblé qu’une partie de la personnalité de l’exorcisé était extraite par “l’entité possédante” plutôt que d’être une nouvelle persona induite par force. C’est un sujet délicat – à ce niveau là, j’essaie toujours de gérer cela par une politique de traitement du phénomène étrange “comme si” ils étaient réels et non “comme” réels (une manière de me protéger par la suite d’une seule logique explicative pour un événement). Mais sur le moment, il faut toujours traiter cela comme l’apparence réelle d’une entité possédante – évidemment selon la définition que l’on donne du réel !

Vous avez une croyance ferme en l’occulte tout en désapprouvant les religions. Pourquoi ?

Mon plus gros problème avec les religions organisées est qu’elles se présentent invariablement comme l’Unique Vérité. Suivant la logique taoïste et étant disciple de la perception de Robert Anton Wilson, je ne suis tout simplement pas d’accord avec cela.
Comme le dit le précepte, le Tao qui est exprimé n’est pas le Tao – dès que l’on applique un langage aux phénomènes mystiques, quelque chose se perd et, invariablement, le dogme s’immisce directement dans l’expérience et la compréhension de la chose. Et de mon vécu, la majorité des gens font de bonnes et mauvaises actions malgré un profond attachement religieux plutôt qu’à cause de leurs convictions.
Je connais nombre de croyants, de bonne foi, de religions majoritaires comme des moins connues. Mais de ces personnes, celles que je respecte le plus sont celles qui arrivent à dépasser les limites de leur enseignement et considèrent la possibilité que personne ne détienne toutes les réponses (Et clairement cela me concerne ! Ma ligne de conduite est de toujours me remettre en question lorsque je commence à penser avoir toutes les réponses, car il est temps pour moi de chercher là où je me plante considérablement).

Quel mal existe selon vous ?

Le mal que font les gens.
Bien que, de mon expérience, il semblerait que certaines choses (et je pèse mes mots) proviennent d’entités non humaines bel et bien malicieuses; mais je ne crois pas au mal dans le sens chrétien du terme. Cependant je persiste à penser que la cruauté des gens et toutes leurs mauvaises actions laissent une trace, et chez les personnes affectées ainsi que les lieux. Parfois cette trace peut presque prendre forme et faire beaucoup de mal.

Pensez-vous que tout le monde devrait s’intéresser, ne serait-ce qu’un peu, au travail occulte et ésotérique ?

Pas nécessairement… La majorité n’en a pas besoin, et lorsque c’est le cas, beaucoup n’en font qu’une expérience théorique et mythologique. En revanche, je pense que tout le monde devrait se préparer mentalement à l’exercice d’apprendre et de se renseigner sur des croyances qui ne sont pas les leurs, sans pour s’en aveugler. J’adopte toujours, par défaut, une attitude consistant à ne pas croire que tel ou tel phénomène est réel. Au fond, je sais que c’est étrange, mais un bon magicien est d’abord – et avant tout, un sceptique.

Pour lire la seconde partie de nos extraits de l’enquête de Ian Cat Vincent, c’est par ici.

Pour lire l’article en anglais dans son intégralité, cliquez ici.

Pour en savoir plus :